(dédié à Charles Mardelle, St Cyr/ Loire, 1928-2018)
Hiver, terrible hiver qui n’en finissait plus !
Sur la Loire gelée, chaotique banquise,
Hurlait depuis des mois le souffle de la bise,
Le fléau, l’affameur des gens de la tribu !
Les humains les plus forts affrontaient la tempête,
Piégeaient près de leur camp quelques oiseaux transis
Et, pauvres orpailleurs, tiraient du sol durci
Les minables trésors des saisons de disette ;
Tandis que, dans la grotte où ils étaient reclus,
Des malheureux pleuraient leurs proches disparus.
De jour en jour baissaient leurs vivres en réserve ;
Puis, un soir que le feu embaumait leur abri,
Évoquait les beaux jours et les ventres remplis,
Ils virent leur grand chef soudain trembler de fièvre
Et tout l’art du sorcier n‘écarta pas la nuit !
Ils avaient invoqué leur dieu, le Grand Chasseur,
Choisi un nouveau chef, conjuré la nuit noire ;
Des jeunes s‘élançaient, maintenant pleins d’ardeur,
Sur la toundra glacée qui dominait la Loire ;
Pas un signe de vie, même pas un rongeur !
Alors ils dépassaient la Roche Observatoire,
Puis, après bien des cris et mouvements tournants,
Isolaient du troupeau un renne ou un élan
Qu’ils rabattaient vers le surplomb d’un promontoire ;
Après un coup d‘épieu, ils en buvaient le sang :
Ils en peignaient aussi leur face tatouée,
Fiers d‘être désormais des chasseurs attitrés !
Ils auraient encor bu , mais devaient courir vite
Car on disait que dans le soir tombant rôdait
La Bête qui tuait par plaisir, la Maudite !
Alors ces Tourangeaux devenaient troglodytes :
Là même où leurs aînés avaient tué un ours,
Ils se cachaient sous le tuffeau de sa tanière,
Puis ils se tenaient prêts, tous pour un, un pour tous,
A vendre chèrement leur peau à l’adversaire !
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(Tuer, être tué…. Ils sortaient de l’enfance ; (1)
C‘était leur tentation, souvent leur suffisance,
De se croire plus durs, plus utiles qu’autrui ;
Mais les femmes au camp connaissaient leurs souffrances
Quand ils se débattaient, la nuit, dans le silence
Et revivaient sans fin la mort de leurs amis.)
—–
Ils savaient qu’en “beuglant” dans leur corne d’urus (2)
Ils pouvaient demander des porteurs pour leur charge ;
Mais le vent apaisé, la grisaille et la nue
Étaient, pour leur malheur, des étouffe-messages !
Donc à eux de porter ! Sur de méchantes gaules
Un bestiau congelé meurtrissait leurs épaules,
– Mais pour l’abri c‘était la survie attendue !
L’abri ! Il était temps d’y secourir les femmes
Qui n’avaient plus de quoi préparer le brouet ;
Il leur tardait d’y voir le chasseur nouveau-né,
D’y sentir le fumet des viandes et des flammes,
D’y boire après l’effort ; l’abri avait une âme :
Autour du feu chacun donnait et recevait.
—–
Ces natifs du coteau en choisissaient la crête,
Au loin leur souriait le camp de la tribu,
Mais en ce second jour sous le poids de la bête
Ils doutaient de jamais arriver à leur but :
Ils glissaient, ils tombaient, sentaient tourner leur tête,
Tels des porteurs de croix ils se traînaient fourbus ;
Ils seraient morts d‘épuisement face à la grotte
Si des yeux angoissés ne les avaient pas vus ;
La tribu acclamait ses gars en bas de côte,
Des bras les déchargeaient ; ah ! il était grand temps !
Ils beuglaient « Grand merci » à leur dieu bienveillant,
Frottaient leurs joues bleuies contre des joues pâlottes,
Puis se faisaient servir, tout à coup fainéants !
Fin
(1) Ils devaient être majeurs et chasser vers 12 ans .
(2) urus = auroch