Mes parents, vivant en zone occupée, correspondaient moins qu’avant la guerre avec ma marraine,— qui était aussi ma tante, — et son époux, qui, en 1944, habitaient la petite ville de Bourg Saint-Andéol,—- département de l’Ardèche. Ma tante, originaire du Comminges, aurait sans doute aimé Bourg Saint-Andéol si, dès le début, elle n’avait pas été rebutée par la violence du mistral, phénomène météo nouveau pour elle. Ma tante était belle, intelligente, vive, et elle s’exprimait sans fard quand quelque chose ou quelqu’un lui déplaisait. Mon oncle, lui, était un marseillais posé, réfléchi, parfois un peu grave et avec ça très habile de ses dix doigts. Je les aimais bien tous les deux.
Arrive le 15 août 1944, en milieu de journée : le débarquement des troupes américaines et françaises en Provence. Ce même jour s’accompagna d’un bombardement de Bourg Saint Andéol par l’aviation américaine, qui, de très haut, essaya d’atteindre le pont suspendu sur le Rhône — d’où, hélas, des morts et des dégâts en ville. Depuis quelque temps les habitants de Bourg se doutaient bien que leur pont serait pris pour cible : mon oncle avait creusé dans son jardin une tranchée qui devait servir d’abri pour sa famille. Ce 15 août, ma tante fut blessée au bras droit, et elle se mit à perdre son sang en abondance ; elle gisait dans la rue et voyait autour d’elle beaucoup de gens « courir comme des lapins,» me raconta-t-elle plus tard, « ne se souciant que de sauver leur peau.»
Sur ce, mon oncle essaya d’arrêter l’hémorragie avec un garrot, puis alla chercher une chaise longue, (c‘était le genre de meuble qu’il se fabriquait lui même,) il eut tôt fait d’en faire une civière ; quand il eut fini, il jeta un coup d’oeil autour de lui : qui allait l’aider en prenant place à l’autre bout de la civière ? Enfin quelqu’un s’approcha, roula un vêtement qu’il glissa sous la tête de ma tante, puis aida à la porter jusqu’à l’hôpital ; cet homme-la, c‘était, devinez : un soldat allemand, qui s‘éclipsa une fois sa tâche accomplie.
« Oui, je dois la vie à mon mari et à un soldat allemand,» me raconta ma tante quand elle m’invita chez elle, quelques années après la guerre ; récit corroboré par sa fille plus tard.
(1) Commentaire — entendu parfois — des “ Histoires Vraies” 3 et 4 : “Il y a des braves gens partout.” Ou, m’a t-on dit aussi : la propagande national-socialiste tenta de persuader les Allemands qu’ils étaient une “race supérieure”, appelée à dominer des peuples dont certains comme les Français s‘étaient laissé aller mais n’y réussit guère.
(2) L’auteur de ce blog s’est entendu reprocher deux “histoires vraies” , les 5 et 6 , « à la gloire des Allemands.»
A cela il réplique qu‘à aucun moment il n’a glorifié les forces d’occupation. Et nos lecteurs savent bien que, si certains occupants se sont montrés humains, il faisaient partie d’une machine de guerre qui les a forcé à obéir, à user de menaces ou de chantage (exécution des otages,) à emprisonner, déporter, torturer, tuer.
(3) C’est le hasard des rencontres qui m’a fait connaître l’histoire du brave douanier sur la ligne de démarcation; c’est aussi le hasard : les liens familiaux — qui m’a fait connaître l’histoire du bon Samaritain de Bourg Saint Andéol; je peux dire que je n’ai pas CHOISI ces récits, pas plus que M. Arnault et ma tante n’ont choisi ce qui leur est arrivé. Ces récits m’ont été rapportés vers la fin de la guerre et je les reproduis ici aussi fidèlement que possible ; je ne doute pas de leur véracité : M. Arnault n‘était pas du genre à se vanter, encore moins à vanter les mérites des occupants ; et ma tante, qui m’a montré la cicatrice laissée à son bras droit, n‘était pas non plus du genre à se mettre en vedette.
(4 ) Enfin, ami lecteur, garde toi de croire que l’auteur de ce blog ait cherché à illustrer une quelconque thèse idéologique .Son unique souci dans ces histoires , c’est de dire la VÉRITÉ .