Belle amie de rouge vêtue

Belle amie de rouge vêtue,
Mon coquelicot d’Amérique,
Je t’ai si peu de temps connue,
Tu demeures pour moi l’unique ;

Mon amour, ma belle Indienne,
L’amour en nos cœurs bourgeonnait ;
Te voilà perdue à jamais
Et je suis seul avec ma peine ;

Dans le New York des solitudes
Tu portais la pourpre des reines
Quand le hasard de nos études
Nous réunit quelques semaines ;

Tu voulais te mettre au service
Des vagabonds, des miséreux,
Et pour les défendre en justice
Tu te voulais pauvre comme eux ;

« Pas d’attache, pas de famille »
M’as-tu dit pendant la session ;
« Bien sûr, c’est dur pour une fille
De prendre cette décision.»

Tu m’as dis aussi que la haine
Ne devrait pas nous habiter ;
Pouvais-je savoir quelle peine
J’aurais plus tard à pardonner ?

Dans la gare l’immense salle
Nous accueillait après nos trains,
Puis la bouffée d’air matinale
Avant le travail quotidien ;

C‘était bon de marcher ensemble,
Tout Manhattan semblait marcher ;
Il y eut un jour, il me semble,
Où la pluie nous a rapprochés ;

Notre abri fut la vieille église
Et puis on se serra la main,
Ta robe était rouge cerise,
Tu t‘éloignas vers ton destin ;

Arriva ce matin funeste
De feu et d’horreur et d’effroi ;
Est-il venu de toi, ce geste
Que nous avions fait, toi et moi ?

Car j’ai vu se sauver des flammes
Dans l’azur, ô Dieu, des humains
En sursis, des hommes, des femmes,
Eux aussi unissant leurs mains ;

Dans le tumulte du naufrage,
Je m’en suis voulu d‘être loin ;
J’accourus, je criai de rage
Quand on me barra le chemin ;

Il est des photos qui me hantent,
J’essaie de ne plus les revoir,
Ma blessure est encor saignante
Bien que luise en moi un espoir :

J’imagine que ton amour
Dans le chaos l’a emporté ;
Avant que s‘écroule la tour
Tu as dû dispenser ta paix ;

Ta foi au Christ, ton beau sourire,
Et ton calme ont dû rayonner ;
Le rouge est couleur du martyre ;
Est-ce ce que tu pressentais ?

Ma belle amie tôt disparue
Un funeste jour de septembre,
Je ne peux te croire perdue,
Je me dis que tu dois m’entendre !

Désormais nombreux au service
Des vagabonds, des miséreux,
Nous demandons comme eux justice ;
N‘était-ce pas l’un de tes vœux ?

C’est bien là le plus bel hommage
Qu’on puisse te rendre, chérie,
Ainsi est transmis ton message
Qui était d’amour et de vie .

Belle amie peu de temps connue,
Ma chérie, ma rouge Amérique,
Ta couleur, tu l’avais élue,
Tu resteras pour moi l’unique.

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