L ‘ I.V.G
« Au temps jadis, ma trisaïeule
M’aurait clouée au pilori ;
J’y aurais pleuré toute seule,
Abandonnée par mon ami ;
Et j’imagine que des brutes
Tout excitées seraient venues
Et m’auraient lancé : « Ho ! La pute !
T’as cru passer inaperçue ?! »
« En ce temps-là, une autre aïeule
M’aurait giflée, jetée à terre
En me traitant moi, fille-mère,
De méchante et mauvaise fille
Et de honte de la famille,
Son balai me poussant du seuil
Dans les orties et la poussière.»
«Et puis, allant chez mon amant
Qui aurait fui par ma fenêtre,
Aurait parlé à ses parents,
Puis avec lui, en tête-à-tête,
L’aurait diplomatiquement
Engagé à payer sa dette. »
« Les tempêtes du temps jadis
Demeurent dans le temps qui passe
Car la jeunesse d’aujourd’hui
Se permet toujours ses audaces ;
J’en fis à Tours l’expérience,
Mais qui n’a pas été trahi
N’imagine pas mes souffrances.»
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L’ABANDON
« Lorsque j’allai voir Max en fin d’après-midi
Et lui glissai qu’il était père,
Je ne m’attendais pas, certe, à le voir ravi
Mais pas du tout à sa colère ;»
« Quelle idiote ! Tomber enceinte
Au moment le plus mal choisi
Et puis venir brailler sa plainte
Dans la pension de son ami ! »
Tu sais bien que la négligence
N’a pas été de mon côté ;
Alors, pas question de naissance,
Débrouille-toi, t’as l’ I.V.G. ! »
Lotte n’entendit pas la suite,
Des mots égoïstes et crus ;
Tout en pleurs, elle prit la fuite ;
Son amour était si déçu
Qu’en longeant le quai de la Loire,
La pauvre fille, elle hésita
A couper court à son histoire
En se jetant du pont là-bas ;
« Si je me noyais,” se dit-elle,
Hors du Lochois,(1) qui pleurerait ?
L’amour qui semblait éternel
Au premier cahot s’est brisé. »
Sur ce, providence ou hasard,
Elle rencontra Line et Claire,
Ses amies de L’Ile Bouchard
Qui d’un gros ennui se doutèrent
Et dans leur studio l‘écoutèrent
Et lui rendirent quelque espoir .
(Max, ce samedi-là, dansa avec Toinette,
De la Fac elle aussi, sa nouvelle conquête.)
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LE DISCOURS DE LA RAISON ?
« Lotte chérie, pourquoi t’attarder sur des ruines ?
Max t’abandonne ? Eh bien, tant mieux !
Tu l’as idolâtré, il n’en était pas digne,
Tu l’oublieras dans le soleil des jours heureux !
L’I.V.G., tu verras, te sera bénéfique,
Elle respectera la beauté de ton corps
Et tu retrouveras l’aisance dynamique
Des amoureux du grand air et du sport ;
Un bébé maintenant briserait ta carrière,
Tu régnerais alors sur pots et biberons ;
Tu t’imagines, toi, intelligente et fière,
Pleurant sur tes ambitions ?
Quel gâchis ce serait ! Ce n’est que vers trente ans
Qu’une femme aujourd’hui a son premier enfant ! »
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L’ ANNONCE AUX PARENTS
« J’ai pu parler — enfin ! — à mes parents !
Il était temps que je leur dise ;
Ils ont d’abord été muets, dans leur surprise,
— Pour eux, je suis encor enfant —
Et puis, comme prévu,
Me sont tombés dessus
Des reproches tels que : « Tu es folle !
Tu es encore amourachée
De ce détestable guignol !
Ah oui ! il t’a bien aveuglée !
Mais, las, tes ennuis tombent mal ;
A Loche aussi, tout évolue,
Tes parents ont moins de travail,
L’ I.V.G. serait bienvenue.»
(Les vieux parents ont du mérite :
Il leur a fallu se plier
A toujours plus, toujours plus vite,
A tout ce qu’on nomme progrès ;
Courbant le dos, ils ont subi
Des modes, des valeurs nouvelles
Quand au fil de l’eau sont parties
Celles qu’ils croyaient éternelles )
LE CONSEIL DE FAMILLE
…« Ah, mes amies,
Il s’en fallut de peu qu’on eût une empoignade
Quand Luc cria que « seuls des idiots rétrogrades
S’opposent de nos jours à l’I.V.G ; »
Le bouillant Oncle Paul s’emporta là-dessus
Mais son discours sombra dans un magma confus,
Et là, j’avoue, je perdis pied ;
Mais bientôt j’entendis ma tante Séraphine
Spécialiste des mots qui toujours vous chagrinent :
« Bien sûr, Charlotte, tu es liiiibre !
Liiiibre de nous faire un bâtard !
Mais ne compte pas me revoir
Quand tu accoucheras là-bas, au fond du Parc ;
Fille dévergondée ! Sournoise ! tu mérites
Que tes proches te déshéritent !»
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« Jusque là, dans tous les discours,
J’avais quêté un peu d’amour,
Le monde était bien froid et je me sentais triste ;
Mais le soleil nous vint du cousin Jean-Baptiste,
Médecin de campagne au bourg de Genillé
Qui nous embrassa tous sitôt entré ;
Apprécié de tout Loche et de ses alentours
Et même de clients qui lui venaient de Tours ! » (2)
« Ah ! l’ I.V.G,» dit-il, « pour des femmes stressées,
C’est une fausse délivrance ;
Celles qui l’ont voulue sont — c’est vrai – déchargées
D’une partie de leurs souffrances ; »
« Mais ce qu’on nous décrit ne voit que la surface
Et non pas le mental ;
L’I.V.G., dans l’ esprit, laisse toujours des traces :
Plus ou moins profond est le mal ; »
« La femme alors se sent vidée, parfois indigne,
Éprouve des regrets nuit et jour, bien longtemps,
(« Si je l’avais gardé, mon fils aurait quatre ans ! »)
Voyez-vous, mes amis : une I.V.G. bénigne,
C’est de la blague, c’est du vent ! »
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« Un incident survint alors qu’il nous parlait :
J’avais pour vis-à-vis une de mes cousines ;
Son visage pâlit, je vis qu’elle tremblait,
Puis, se levant sans bruit, s’enfuit dans la cuisine! »
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LOTTE SE CONFIE A SES AMIES
« Max et moi, nous allions souvent à l’aventure,
(Mais j’aurais tort de m’en vanter :
Un gourou faux jeton nous a longtemps plumés 😉
Quant à Max, après la rupture,
Je l’ai haï ! Je l’ai chassé de mon esprit !
Et voulais l’effacer au travers du bébé ! »
« Au temps de mon adolescence
Et de ses rêves d’avenir ,
Il me fut donnée une chance
Qui m’aida, je crois, à mûrir :
Et ce fut une oreille amie,
Ma bonne fée, ma confidente,
Une marraine réfléchie
– Et à l’occasion exigeante —
Il me semble que je l’entends :
“ Te voilà, Lotte, responsable,
Oui, responsable d’un vivant ;
Ce n’est pas un objet jetable,
Demain peut-être ton enfant. »
TEXTO DE PAM , COUSINE DE LOTTE ET RÉACTION DE CELLE-CI :
« Alors quoi, ça va pas !? Tu hésites
A flanquer dehors ce marmot,
Ce drôle qui te parasite,
Et d’un minus le beau cadeau !
Allons ! il est grand temps, ma Lotte
Il est temps de t’émanciper !
Envoie au diable la Calotte,
Les curés, leur télé-parlottes !
Rejoins les femmes libérées ! »
« Femme libérée ! » Allons donc !
Ma bonne fée avait raison,
C’est là un mythe très moderne !
Femme qu’on dit émancipée,
Et qui en fait porte des chaînes :
Pulsions, poudre aux yeux et humeurs,
Égoïste imbue d’elle-même,
Pam se disperse à 100 à l’heure ! »
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« Qui ose s’arroger le droit,
Le droit de tuer l’innocence ?
J’ai consulté ma conscience ;
Mais l’idéal est-il pour moi ?
La nuit, ah ! la nuit, je galère !
Bien que mon fils s’endorme sur mon cœur,
L’avenir, bien sûr, me fait peur,
Tissé de rêve et de chimères,
Des fragilités d’une mère
Et des fantasmes du malheur !
Je voudrais que mon fils prenne comme modèle
Mon cousin si gentil, et non Max l’infidèle ! »
« Et cependant j’ai confiance :
Bien qu’ avec Max, j’aie renié le Christ,
Dieu, je pense , m’a pardonnée et me conduit …
Et son amour est renaissance !
Je me plonge dans l’Évangile ,
Ce grand message incandescent,
Par delà mes soucis futiles,
C’est mon étoile au firmament ! »
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« Ho là ! mon galopin fait des bonds ! Je sursaute,
Serait-ce un kangourou, le petit que je porte ?
Je crois qu‘ à sa façon
Il repère les heures,
L’arôme du café, les tartines, le beurre
Semblent l‘émoustiller tout autant que sa mère ;
Notre joli printemps dispense sa lumière ,
Alors à l’occasion
Il m’envoie quelques gnons
Pour me dire : « Je te rappelle que j’existe ;
J’arrive ! Alors ne sois pas triste ! »
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L’EXPÉRIENCE DES INFIRMIÈRES LINE ET CLAIRE
« Aujourd’hui, dans les mois d’attente,
Au travers des échographies,
On voit des choses étonnantes,
L‘éveil progressif de la Vie :
Baignant dans un tiède liquide,
Nourri (d’amour ?) par son cordon,
Un jeune astronaute placide,
Qui semble en méditation,
Découvre un jour un de ses pouces,
C’est le début des saveurs douces.»
« Et que dire de la naissance ?
Grande vague d‘émotion !
L’enfant paraît ! Moment intense !
Pour nous aussi, croyez-moi, c’est immense,
Et l’on se sent au bord d’un mystère profond :
Homme et femme, conjointement, sont les acteurs
Du grand œuvre voulu par notre Créateur ! »
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« Ne crois pas, Lotte, ma chérie,
Que nous voulions jeter la pierre
A de pauvres femmes meurtries ;
Elles nous confient leur galère ;
En l’absence de vraies amies ,
Souvent naufragées de l’amour,
Du futur elles désespèrent,
Et l’I.V.G. est leur recours…»
« Triste spécialité de l’étage là-bas :
L’I.V.G.–Contraception ;
Il devait être exception
Mais, hélas, ce n’est pas le cas ;
On nous a bercés de paroles,
Oui, d’affligeantes fariboles,
Simone Weil s’en désola. »
« Et sache aussi que l’on assiste
A la navrante éclosion
Des peurs, obsessions et pensées égoïstes
Répandues dans l’opinion :
De plus en plus souvent, dans un écart à l’ hôpital,
Des couples scrutent les photos
D’un Dépistage Prénatal,
Exigeant le zéro défaut ;
Trouvent-ils une tache noire ?
Tu les entends pousser des cris :
Voilà, croient-ils, la preuve d’une tare,
L’embryon tant choyé est tout à coup maudit !
Et c’est un drame qui s’ensuit :
Ce couple, aimable en apparence,
Condamne un petit en dormance ;
Ainsi des poubelles s’emplissent
Des corps d’innocents rejetés, (3)
Et des conformismes complices
Nous font croire à un grand progrès ! »
« Vois-tu, pour des regards profanes,
Beaucoup, beaucoup de nos grands hommes
Avaient tout pour qu’on les condamne :
Fœtus, ils étaient très hors normes ! » (4)
« Pour ma part, je comprends que des parents angoissent
A la vue des échographies :
Ils essaient –de leur mieux– d‘écarter la menace
Des handicaps, des maladies.» (5)
« Eh bien moi, j’ai hurlé des paroles démentes
Tellement mon cœur éclatait !
Lorsque j’ai entendu la plus bête et méchante
Des femmes voulant avorter :
Elle avait « fait le plein,» disait-elle, « de filles
Dans sa maison,»
Et n’en voulait pas plus ;« pour l’harmonie de sa famille,
Lui manquait un garçon ; »
« Nous avons essayé de convaincre le père
Qu’une enfant serait supprimée,
Mais il n’a pas osé contredire la mère,
Il est resté muet ; »
« Nous avons insisté : « Votre petite fille
Pourrait faire la joie d’une femme infertile,
Elle l’adopterait : ce serait son enfant…»
Il nous a répondu : « Vous perdez votre temps ! »
— « Si je vous dis que parfois je déprime,
Me croirez- vous ?
Le monde qui participe à ces crimes
Me rendra fou. »
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DANS UN FOYER D’ACCUEIL, UNE INFIRMIÈRE PARLE
« Je voudrais, moi, que l’ hôpital
Soit le lieu de la tolérance,
Et que le jeu y soit égal
Entre la foi et l’incroyance :
Un conseiller impartial
Doit inspirer la confiance,
Écoutant sans intervenir,
Résumant le bien et le mal,
Bref, aidant chacune à choisir ! »
« Qu’on y présente l’I.V.G.
Comme une possibilité,
Je veux bien ; mais en sens contraire,
Il est juste, il est nécessaire
Qu’y soit montré l’autre volet
Où mère et enfant pris en charge
Auront le temps de se poser
Avant d’affronter le grand large : »
« Une mère célibataire
Qui tient à garder son enfant
S’expose à tant d’avis contraires,
Au stress et à l’isolement
Qu’il lui faut ensuite un grand calme,
Et de l’air pur et du repos,
Dans un parc où, penchant leurs palmes,
Les arbres saluent le berceau. »
« C’est la vie de château ? Peut-être ;
C’est vrai que s’y dresse un château ;
Lotte a besoin d’une retraite
Et du murmure d’un ruisseau; »
« Au début elle se replie
Sur elle-même et son bambin,
Mais peu à peu elle se lie …
Combien de cas comme le sien ! »
« Elle entend ses propres souffrances
Dans les confidences d’autrui ;
C’est ainsi que des connaissances
Deviennent de bonnes amies ; »
« Puis un beau jour, grande nouvelle !
Elle rit ! C’est l‘événement !
C’est le retour des hirondelles,
C’est le dégel, c’est le printemps ! »
« Elle retrouve un équilibre,
La sérénité et la paix ;
En elle sa conscience est libre
De remords toujours ressassés ! »
« Elle est riche d’une sagesse
Que ce séjour va enrichir,
Sa gravité n’est pas tristesse,
Elle est armée pour l’avenir ; »
« Sa vie sera à reconstruire
Avec aléas et labeur,
Mais son fils lui offre un sourire ,
C’est déjà un brin de bonheur ! »
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(1) et (2) Loches, un des joyaux de la Touraine, est à 40 km au sud de Tours.
(3) appelés : « déchets hospitaliers »
(4) Einstein avait un cerveau hypertrophié du côté gauche ; Mendelssohn et Lincoln souffraient de la maladie de Marfan ; Mozart souffrait probablement de la maladie de Gilles de la Tourette ; Michel Petrucciani de la maladie des os de verre, etc
(5) Voir la page 14 du MONDE des 4 et 5 février 2007 :« La France au risque de l’eugénisme »: L’eugénisme, pratiqué par l’Allemagne nazie avec, entre autres, l‘élimination des infirmes, « est devenu de nos jours une idéologie française, » remarque Didier Sicard, président du Comité consultatif d‘éthique. « Les dépistages sont perçus chez nous comme un progrès des acquis scientifiques, des Lumières, de la Raison ; dans les faits, malheureusement, ce sont des empêchements à vivre. »
« Notre société aimerait qu’il y ait une distinction bien tranchée entre un eugénisme criminel et un eugénisme médical ; ou si l’on préfère un méchant et un gentil. Mais en fait, écrit Jean-Marie Le Méné, “il n’y a qu’un seul eugénisme”, qui aboutit bien souvent à la suppression d’un embryon.»
Didier Sicard écrit aussi : « Les parents qui désireraient la naissance de ces enfants (malades) doivent, outre la souffrance associée à ce handicap, s’exposer au regard de la communauté et à une forme de cruauté sociale…»
Quelques jours après la parution de l’article de Didier Sicard en 2007, M. Nicolas Journet demandait une tribune dans le même journal «Le Monde». Il s’y insurgeait en tant que « premier concerné » contre la dérive du Diagnostic Prénatal et son application à sa maladie .
Il est en effet atteint de la maladie de Marfan, qui fait peser sur lui à tout moment la menace d’une crise cardiaque. Très tôt, il découvre le manque de prise en charge des maladies génétiques et surtout le regard froid et accusateur des médecins : ceux-ci culpabilisent ses parents et lui-même : il n’aurait pas dû naître, il aurait dû être éliminé. Pourtant maladie génétique et bonheur ne sont pas incompatibles. Il prouve qu’il a le droit d’exister, d‘être heureux et même d’avoir des enfants .
Quiconque a vu le film belge « Le Huitième Jour» et son protagoniste, Pascal Duquenne, —trisomique dans la vie réelle comme aussi dans la fiction, — en arrive à la même conclusion : maladie génétique et bonheur ne sont pas incompatibles. Le jeune, que le personnage « normal » incarné par Daniel Auteuil tend à repousser par peur lors de leur première rencontre, se révèle comme un être fragile mais extrêmement sensible, rieur et attachant. (Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes en 1996)
( Attention, toutefois, me dit M.E., membre du corps médical : il est arrivé qu’ayant vu ce film, les parents d’un jeune handicapé croient —à tort — que leur enfant révélera autant de qualités que le jeune Pascal et qu’ils sous-estiment les difficultés de leur tâche,)
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