« Vous, Français, vous avez bien de la chance d’avoir une belle langue qui est un véritable outil de précision » . Voilà la réflexion teintée d’envie que les Français et, j’imagine, les francophones, entendent de temps en temps.
Eh bien, je croirais volontiers que les Français sont comparables à des gosses de riches à qui le tonton a offert un jouet merveilleux, mais qui, souvent, le délaissent dans un coin .
Nos ancêtres nous ont légué deux adverbes de lieu : Ici et là . « Ici, le lieu où se trouve celui qui parle,» (nous disent les dictionnaires,) opposé à « là, là-bas.»
Malheureusement, on constate que beaucoup de nos concitoyens ne profitent pas de cette distinction, de sorte que le langage en est appauvri ; ils invitent leur progéniture à revenir près d’eux en leur criant : « Viens là !» (prononcé souvent : « viens lô, » ce qui n’arrange rien)
Je reconnais que “là” a un sens un peu élastique : on entendra souvent un vacancier dire, sur une plage par exemple : « ça fait la quatrième année qu’on vient là, » ce qui désigne manifestement la station balnéaire et non pas l’endroit précis de la plage où se trouve celui qui parle ; dans ce dernier cas, le même homme dira : ” C’est ici que j’ai dû perdre ma montre, dans le sable, près des escaliers ”
Cela dit, au risque de passer pour un puriste, je crains que cette promotion dont bénéficie « là » au détriment d’ « ici » n’ait parfois des conséquences très regrettables dans la vie de tous les jours : représentez-vous un couple vers 7 h du matin : elle et lui se dépêchent avant de filer au boulot ; tout à coup, lui, (dans le séjour,) s‘écrie : « Où est le sucrier ? » Réponse de la femme (qui est côté cuisine): « Mais chéri, il est là » — « Où ça, là ?— « Il est là, t’as qu‘à chercher ! » Un tel dialogue risque de durer (en se répétant) et de s’aigrir, avec des remarques du genre : « Les bonshommes, y z ont pas de patience, y savent pas chercher !» Bref, il y a un fort risque d‘étincelles, et par voie de conséquence, d’incendies qui n’ont rien en commun avec les célèbres Feux de l’amour !
Cas très semblable à ce qu’on vient de voir : “celui-ci” et “celui-là”.
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