Mathilde

NOVEMBRE 2015 : Mathilde, veuve depuis un an, se couchait en pensant tristement à son fils Stéphane, l’ingénieur, qui, en ville, partageait son F3 avec Thomas, son compagnon. Stéphane venait de lui annoncer une  « bonne nouvelle,»  disait-il : son ami et lui allaient adopter un enfant — Stéphane n’alla pas jusqu’à confier à sa mère que le garçon venait d’être “commandé” à une mère porteuse par l’entremise d’une clinique nord-américaine.

QUATRE ANS APRES : Chaque fois qu’ils allaient à un spectacle, Stéphane et son compagnon passaient chez Mathilde et lui confiaient Luc, leur fils adoptif. Ce garçon était un blond aux yeux bleus, aux traits parfaitement réguliers mais d’un abord dur et froid qui glaçait sa grand mère. Mathilde fit un rêve qui, au réveil, continua de la hanter : une infirmière lui apportait un bébé et lui disait que c’était son petit-fils ; il venait de naître dans un Lebensborn, un des ces centres où les nazis avaient  essayé de « fabriquer » des enfants sans défaut physique et de pure race aryenne : d’ailleurs un certificat d’authenticité, avec aigle et croix gammée,  était joint.  Ce rêve la tourmentait, aussi essayait-elle de réagir et se disait : Mathilde, tu deviens folle! ce haras des nazis a disparu depuis longtemps ; quant au gamin, tu dois lui donner ton affection ; c’est ton petit-fils, non ? »   Alors, comme pour se faire pardonner, elle lui préparait des super-goûters: grosse brioche,  tarte Tatin, mille-feuilles, jus de fruits exotiques.

NOVEMBRE 2025 : Au seuil de l’adolescence, l’attitude du jeune Luc changea de façon inquiétante : lui qui n’avait jamais été très expansif, il devint terne, triste, apathique, presque muet, et des goûters il n’avalait à peu près rien.  (En fait,  le garçon ressassait une conversation entendue à un arrêt d’autobus : « Les mères porteuses ? des miséreuses ou des mercenaires plus ou moins putes, avec un maquereau en prime.»)
Mathilde demanda à voir Stéphane en tête à tête, lui dit son découragement  et surtout lui posa force questions à propos de Luc. Elle finit par apprendre que le patrimoine génétique de l’ado provenait, d’après le directeur de la clinique, — du sperme d’un « Prix Nobel » et d’une mère porteuse « très bien, tu sais » Ce patrimoine n’avait donc rien de commun avec celui de ses deux « pères » ni, bien sûr, avec celui de la vieille femme qui jusque là croyait naïvement être la grand-mère de l’enfant.

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Ce soir là , Mathilde alla se coucher après le journal télévisé, en pleurant doucement et en maudissant la loi instituant “le mariage pour tous,” réclamée à grands cris par le lobby homo, tout content d’affaiblir la famille dite “traditionnelle” et qui pourrait bien tôt ou tard obtenir la légalisation de la PMA et du recours aux mères porteuses, cette loi qu’un triste sire, pour être dans le vent et gagner des voix, avait cru habile naguère de présenter comme un grand progrès pour la société, la France et l’humanité.

NOVEMBRE 2O33  : ” Vous, mes deux pères ? Allons donc ! ça, c’est la fiction Taubira et Cie ! Vous m’avez adopté quand j’étais tout petit, en vertu de ce que certains appelaient “le droit à l’enfant” — formule d’un égoïsme à vomir… comme si l’enfant était un petit chien que l’on achète au supermarché pour se faire plaisir ! — Et aujourd’hui, quand je vous demande qui étaient ma mère et mon père biologiques, mes vrais parents, vous vous défilez ; vous me montrez un document d’état-civil de merde qui ne révèle rien ! D’ailleurs, quand bien même l’identité de mes vrais parents figurerait sur ce papier, reste que vous m’avez privé pendant des années de l’affection — de ma mère du moins ; et vous voudriez que je garde mon calme et cesse de crier ! Eh bien, maintenant que je suis majeur, à mon tour, moi, j’ai un droit : le droit de connaître mes ascendants ! Je ferai tout pour y arriver ! et ne vous mettez pas en travers de mon chemin ! »