Les tribulations d’un champion

« Je suis le lapin Tourannxel,
On dit que c’est grâce à mes piles
Que j’ai la victoire facile
Mais je suis exceptionnel ;
Un lapin qui court comme moi,
Qui franchit d’un bond deux clairières,
Puis à la nage la rivière,
Vous en connaissez, vous ? Moi pas .

Déjà à l‘école primaire,
En courant sur la piste nue,
Je laissais les autres derrière,
Ma mère en pleurait, tout émue !

Un peu plus tard, le marathon,
(« Pour les cinglés, » disait mon père )
A l’arrivée, pas d’ovation :
Tout le monde était loin derrière !

Plus tard j’ai gagné tant de prix
Que des jaloux, ex-adversaires
En justice m’ont poursuivi —
M’ont poursuivi, ouais, … loin derrière !

Ils se sont fait greffer des piles,
Mais n’ont pas vu, les imbéciles,
Outre mon matériel léger,
Que j‘étais super-entraîné,
Que j‘étais super-motivé,
Que les enfants de notre école
Ainsi que la lapinopole
Étaient prêts à m’encourager …
De sorte qu’ils partaient battus,
Sachant qu’ils allaient voir mon Q,
Il m’aurait fallu les comprendre,
J’aurais dû voir, je n’ai pas vu,
Je n’ai su alors que me vendre .

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Tout commença près du Louroux :
Une lapine séduisante,
Qui me dit :« je suis ta parente »
M’embrassa et m’offrit un chou :
Modeste début d’une pente,
Qui s’accompagna d’une rente
Et me mit un collet au cou.

Ce chou, pourquoi l’ai-je accepté ?
Depuis, bien des publicitaires
Pleuvent chez moi sans se gêner ;
B.C.B.G., ces congénères,
Mais dois-je avec eux faire affaire
Ou bien m’inspirer d’une chasse
Où me coursaient des chiens courants ?
Le Louroux était tout en blanc,
Je les attirai sur la glace,
Puis débrouillez-vous dans l‘étang !

J’ai cédé aux voix des sirènes,
J’ai cédé contre ma raison, 
Et ce soir, sous la lune pleine,                                  
Je sourirai pour les antennes,
Dirai deux vers de mirliton,
Et ramasserai pour ma peine
Plusieurs poignées de picaillons ;
Plus tard, en portant à mes lèvres
Comme en extase, ce soda,
Je pourrai voguer sur mes rêves
De Monaco à Las Vegas ;
J’ai cédé aux voix des sirènes,
Je roule sur des monceaux d’or,
Grande fiesta dans la garenne,
Mais j’ai au coeur comme un remords.

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Mon enfance…. je la regrette !
De bons souvenirs j’en ai plein ;
Les clairs de lune étaient chouettes
Et nous savions faire la fête ;
Où sont passés les bons copains ?

Où êtes-vous, Dor et Dorène,
Aimables veilleurs de nos nuits ?
Dans le Rallye de la Luzerne
Vos yeux balisaient le circuit ;
Où est Caramba  le Pirate
Qui nous donnait de grands frissons
En pointant sur notre frégate
Son sabre, — une queue de poêlon ?
Et celui qu’on nommait « Grand Frère, »
Qui se moquait d’« il a mouru ?»
Pendant la Course en Solitaire,
Au coin du bois il disparut ;

Où est Gryseldys ma copine,
En permission jusqu‘à minuit ,
Mais sa mère avec sa badine
Ne voulut pas l’entendre ainsi ?
Et son amie La Célestine
Qui voulait m’apprendre les pas,
Les glissés et les entrelacs
Du tango comme en Argentine ?
Quel orage elle déchaîna !
Où sont Pom, Flu, Kori, Chupette,
J’ai retenu quelques prénoms
Mais sans doute avais-je la tête
Ailleurs lors des présentations ?

Devenus grands — et chauds lapins,
Nous carburions à la carotte ;
Aïe ! revoilà mon mal aux reins,
Je le dois aux chasseurs du coin
Qui nous faisaient payer la note !
Où sont nos joutes printanières ?
Hélas, le bonheur s’est enfui,
Et je crains que pas mal d’amis
Ne soient partis en gibecières !

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Ah, misère ! La gent lapine
A bien changé au fil des ans,
Mais pas, hélas, dans le bon sens !
Plus de joie ! Partout dégouline
Le fiel des mécontentements ;
Ici les cancans assassinent,
Les têtes sont d’enterrement ;
Même un pet de travers banal
Vous expédie au tribunal,
C’est le règne des malveillants ;

Le bien-être que je rêvais
De leur donner par mes richesses
Chez ces ingrats a fait germer
Calomnies, jalousies, bassesse ;
Hier ils parlaient d’un air narquois
De ma pile et de leur piquouse ;
Sur ce j’apprends par mon épouse
Qu’ils vont m’attendre au coin du bois !

Vite, vite ! Enlevez mes piles !
Fistons ! Débranchons leurs ragots !
D’ailleurs les piles m’horripilent !
Ces chacals n’auront pas ma peau !
Ma chère épouse, chers fistons,
Toujours gagner, c’est monotone,
Je sens m‘échapper ma couronne,
( Tant pis si j’y laisse des ronds ! )
Ce soir, Grande Course au Pognon :
J’annoncerai que j’abandonne ! »