Ballade du coteau de la Loire à Tours

Le coteau de chez nous au dessus de  la Loire,
Est souvent un à pic; témoin de son histoire,
Le blanc tuffeau sculpté sur des millions d’années
Et encore aujourd’hui constamment travaillé.

Il a vu défiler des siècles, des saisons,
Des crues, des mascarets, d’étranges floraisons,
De grands tricératops et des tyrannosaures
Qui criaient au combat leur furie carnivore,
Écrasaient l’ennemi, écrasaient la vallée.

Plus tard, beaucoup plus tard, la Loire étant gelée,
Le coteau accueillit dans le creux d’un rocher
La tribu des chasseurs chargés d’un gros gibier ;
Ils riaient, ils pleuraient ! hommes, femmes, petits,
Narguant à coups d‘épieu la terreur de leurs nuits !
Peu après le fumet des viandes sur les braises
S‘éleva, solennel, leur chant de la falaise ;
Et le dieu du foyer leur offrit dans le froid
Sa chaleur parfumée, sa lumière et sa joie !

Plus tard vinrent les défricheurs, l’agriculture,
Les grains mis de côté, soupesés dans les mains,
Mais qu’il faut bien un jour confier à la nature ;
Enfin, pour célébrer cette rude aventure,
Les premiers vignerons buvant leur premier vin.

De notre beau coteau au dessus de la Loire,
On peut voir la cité dans sa plus grande gloire
Quand le couchant répand sa lumière dorée ;
Les tours de Saint–Gatien en sont toutes nimbées
Ainsi que notre pré du coteau ligérien ;

Ici les Capucins eurent leur promenoir ;
Le Très saint créateur des êtres et des choses,
Ils le sentaient présent dans le parfum des roses,
Créatures comme eux ; et sur ce promontoire
Ils l’adoraient, sentant qu’une grâce repose.

Delacroix et Turner, à l’aquarelle ou l’huile,
Ont peint l’azur léger, les bateaux et la Loire ;
D’ici des artilleurs ont incendié la ville,
C’est vrai ; mais le spectacle est tellement tranquille
Qu’on oublie aisément les fureurs de l’Histoire.

Sur notre cher coteau de Saint Symphorien,
(Mais la ville s‘accroît vers l‘étoile du Nord,)
S’étend notre prairie, vouée naguère aux sports,
Mais depuis quelques mois livrée aux herbes folles,
Où chantent les grillons, innocentes bestioles.

Un jour, sur notre pré au dessus de la Loire,
Parlent des beaux messieurs, descendus de voiture,
Pestent contre la boue sur leurs belles chaussures
Et appellent “fouillis” toutes ces herbes folles
Où l’enfance au printemps se roule et batifole.

“Un grand lotissement va démarrer bon train
“Sur la verte prairie chère à St Symphorien;
Les gens du bâtiment sont fiers de faire utile,
De couvrir de maisons cette “friche à reptiles.”

Sur le terrain de sport une plaie est ouverte,
Les pistes et les buts ont déjà disparu ;
Nos enfants, maintenant rejetés dans la rue,
Vont pleurer en secret leur période verte
Et la belle promesse, hélas, jamais tenue.

Fini le pré, finis les rires juvéniles,
L’argent va t-il passer avant la chlorophylle ?
Les grillons, les petits musiciens de la nuit,
Et l’oisillon nouveau par les travaux surpris
Seraient sous le béton — et notre cœur aussi .

Un germain n’est-il pas un cousin ou un frère ?
De ses frères humains n’a t-il pas le souci ?
Aussi demandons-nous, confiants, à notre maire
Que soit ouvert à tous le pré du belvédère ,
Des jeux, des chants d’oiseaux, du Très Haut dans sa gloire
Sur notre cher coteau au dessus de la Loire.

———————————————

Le coteau auquel il est fait allusion ici est celui qui domine la Loire au nord. Là se trouve un bel espace vert de 2 ha, avec vue notamment sur les vieux toits et sur les tours de la cathédrale St Gatien. La rumeur de la ville, sa respiration, y parvient, affaiblie. Ce lieu propice à la détente, à la convivialité, à la rêverie, nous espérions qu’il serait protégé des constructions de la cupidité et ouvert au public. Mais M. Jean Germain, maire de Tours de 1995 à 2014, est resté sourd aux demandes des habitants du plateau nord. Sa municipalité s’est vantée d’être à la tête de la ville française la plus riche en espaces verts par habitant ; mais elle ne disait pas que, dans ce classement, chaque arbre planté le long des avenues était compté comme espace vert. Cette ballade du coteau, écrite aux alentours de l’an 2000, s’est muée en complainte au fil des ans : le bétonnage a été poussé à l’extrême sur tout St Symphorien, au point qu’en 2022 la municipalité écolo de Tours, en quête de terrains susceptibles de fournir des jardins publics de proximité, se dit prête à acheter des parcelles à leurs propriétaires, et en attendant, va planter des “miniforêts” (sic) et des “îlots de fraîcheur” pour remplacer des “îlots de chaleur.”
!