L’ageasse

« Avez-vous vu la grande ageasse (1)
Sur la colline ces jours-ci ?
Elle a ses peurs et ses audaces
Et qui sait ? raconte ses chasses
Comme crécelle aimant le bruit. »

« Moi, je l’ai vue discrète et calme,
C‘était hier dans la paix du soir,
Assassine cachant sa lame,
Puis elle fit force de rames,
La suite me fit peine à voir :»

« Car j’assistai à la poursuite
De l’oiselet, mon doux ami ;
Que pouvait-il ? Il prit la fuite,
Elle vola toujours plus vite
Et finalement le saisit ; »

« Et de loin je vis le rapace
Déchiqueter mon bel oiseau,
N’en laisser que plumes sur place,
Je suppliai en vain la garce,
Autant m’adresser à l‘écho ! »

« Je fis un rêve peu après :
Je tuai maintes fois l’ageasse,
Mais alors des voix s‘élevaient
Qui me suppliaient : ”Grâce ! Grâce !“
Je crus entendre l’oiselet. »

« Tes propos ainsi que tes larmes
Disent combien tu es meurtri ;
Cependant arrête tes blâmes,
Cette pécore n’a pas d‘âme
Et mérite plutôt l’oubli ;»

« C’est vrai, elle semble maligne,
Mais, recluse dans sa noirceur,
Elle ne sait ni ne devine
Que l’attend sur l’autre colline
Le jugement des écorcheurs.»

(1) Ageasse: pie-grièche grise. Se nourrit d’insectes et de petits oiseaux ; appelée aussi écorcheur. A l‘époque de la fauconnerie, était parfois dressée à chasser les petits oiseaux. (le Larousse)