Le parlement des migrateurs

« A l’heure où le soleil décline
Et où le ciel à l’ouest rosit ,
Le grand cèdre à flanc de colline
Nous semble encor avoir grandi.»

« Car son ombre à présent atteint
Les terres de notre commune;
On dirait qu’il nous tend les mains
Et nous salue au clair de lune.»

« Notre cèdre, arbre gigantesque,
Par des experts fut condamné,
Mais nous avons jugé grotesque
Que ces nains veuillent “ l’exploiter.»

« Tous les migrateurs de la terre
Savent qu’ils y sont bienvenus,
Qu’il offre à ses pensionnaires
Le gîte comme le menu. »

« Le soir, quand les oiseaux décrochent
De leurs longs rubans sinueux,
Ils y trouvent grains et brioches
Car le village pense à eux.»

« L’arbre leur chante des berceuses
Et calme les endoloris,
Tel une harpe harmonieuse
Dans le silence de la nuit.»

« Et dans sa pénombre d‘église
Flotte un parfum délicieux,
Une essence qui tranquillise
Les esseulés, les anxieux.»

« La gent ailée s’installe et piaille,
– Tout le bourg en perçoit l‘écho – ,
Et se bouscule et se chamaille,
C’est son rite avant le repos.»

« Les champions des longues distances
Ne tardent pas à s’endormir,
Mais qu’une brise les balance,
Elle éveille leurs souvenirs: »

« Peu à peu émergent en rêve
Des choses vues les jours passés,
Et dans l’ombre des scènes brèves
Ne cessent pas de les hanter;»

« Alors à voix basse ils se parlent
Des courants et des vents porteurs,
Des pluies glaçantes, des rafales,
Des rencontres, des grandes peurs ; »

« Des coups de feu, des coups du sort
Qui dans les grands vols font des vides
Et de festins où les avides
Sont, hélas, saisis par la mort; »

« Je me souviens … dans les Hébrides,
On entendait une chanson
Sur dioxine et pesticides,
“Nos whiskys se jouent des poisons ! »

« Et nous, on aurait voulu boire ;
L’eau du port était mazoutée
Et sur un tertre près du phare,
De drôles de drapeaux flottaient ! »

« Au Pays Noir, en Angleterre,
Où étaient mines et terrils,
Du blé très rouge était à terre ;
On s’est méfié, on a fui.»

« En France où plusieurs estuaires
Nous régalaient de vers marins,
Une algue envahit les vasières,
Ça pue et te coupe la faim ;»

« Plus loin, drossés vers les pylônes
A haute tension, ça t‘étonne ?
Nous avons cru devenir fous
Dans les éclairs autour de nous ; »

« De tous les chasseurs, les plus lâches
Sont ceux qui nous tuent dans les cols,
Alors que nos ailes sont lasses
Et que nous approchons du sol; »

« Il est des chimies délirantes
Dans l’eau, les graines et les champs;
Des produits nous désorientent;
Serons-nous bientôt des errants ? »

« Beaucoup d’entre nous, migrateurs,
Voient leurs groupes s’amenuiser,
La Création est souillée,
L’homme génère nos malheurs;»

« L’homme est un oiseau sale et vil !
Il est de ceux qui chient au nid !
Il pue, tue, pollue, l’imbécile,
Et sans cesse ajoute au gâchis !
De nos ennemis c’est le pire ,
Mais hélas, qui peut le détruire ? »

« Eh bien moi, qui depuis l’enfance
Entend : « L’homme, monstre cruel,»
J’ai fait avec lui connaissance,
Un moment exceptionnel.»

« Tout a commencé par un leurre,
Ah oui, ce jour-là, ils m’ont eue !
J’ai cru vivre ma dernière heure
Et me suis beaucoup débattue; »

« Puis, j’ai vu de près un visage,
Un sourire penché sur moi
Qui m’a dit : « Petite, sois sage !
Demain on te relâchera ! »

Là-dessus l’inconnu m’embrasse ;
« Grâce à toi, nous connaîtrons mieux
Vos habitudes dans l’espace
Et vos parcours prodigieux ;»

« Ma belle, va dire à tes frères
Que nous pensons aux migrateurs
Et leur aménageons des aires
D’où seront chassés les chasseurs.»

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« Amis, il faut de la patience,
L’homme est une énigme pour nous,
Un téméraire qui s‘élance
Dans des actes qui semblent fous; »

« Vous savez que, dans son espèce,
Le pire côtoie le meilleur ;
Fions-nous donc à sa sagesse
Qui châtiera les pollueurs; »

« Dans le village planétaire
Les puissants broient les tout-petits,
Mais leurs méfaits et la misère
Les rattraperont eux aussi.»

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« Demain, ayant pris notre essor
Nous déploierons nos grandes voiles
Dans le soleil aux rayons d’or,
En nous guidant sur les étoiles. »

Croisière dans l’espace temps,
Mais notre vie est éphémère ;
Méditez, enfants de la terre ,
Vous aussi êtes des passants
Et de nous êtes solidaires ! »

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